Le jeudi en poésie chez les "Croqueurs de mots"
(1821-1867)
Enivrez-vous
Il faut être toujours ivre. Tout est là :
Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules,
Et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trève.
Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise.
Mais enivrez-vous.
Et si quelquefois, sur les marches d'un palais,
Sur l'herbe verte d'un fossé,
Dans la solitude morne de votre chambre,
Vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue,
Demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'horloge,
A tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule,
A tout ce qui chante, à tout ce qui parle,
Demandez quelle heure il est,
Et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge,
Vous répondront : "Il est l'heure de s'ennivrer !
Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps,
Enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse !
De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise."
s'enivrer de parfums